Le 17 Janvier 2022, il y a eu un mort, mais c'est d'innombrables vies qui ont été détruites. Cela fait maintenant plus de trois ans qu'Anthony est décédé, ou plutôt, qu'il a été tué. Plus de trois ans que nous attendons ce procès. Trois longues années d'attente, de doutes, et de détresse.
Trois ans à me demander comment il est possible qu'on en soit arrivé là... Comment la Justice a-t-elle pu laisser en liberté un individu aussi dangereux que celui qui a tué Anthony. Comment, après ses multiples récidives, la Justice a-t-elle pu être aussi clémente. Car cette clémence, bien qu'elle ne soit pas la seule fautive, a bien sa part de responsabilité dans le drame qui nous réunit tous ici.
Vous devez savoir que pour cette raison, aujourd'hui, l'intensité de mon amitié pour Anthony n'a d'égal que l'aversion et le dégoût que me procure cette grande institution qui, à mon sens, n'a de juste que le nom.
Aujourd'hui je ne vais pas vous expliquer qui était Anthony, ni vous détailler ce qui faisait de lui un homme bien. Il faisait partie de ces amis que l'on compte sur les doigts d'une main. De ceux que l'on pouvait réveiller à trois heures du matin si on avait un problème. Il faisait partie de ceux pour qui je me serais levé à trois heures du matin s'il avait eu un problème... Tout ce que vous devez savoir, c'est qu'il était innocent, qu'il ne méritait pas de mourir...
Très vite après son décès, je me suis imaginé ici, dans une salle d'audience. Je me suis imaginé devant vous, entrain de vous déballer ce que j'avais sur le cœur. En trois ans j'ai eu le temps de réfléchir à un certain nombre de scenarii. Passant de la tristesse à l'inquiétude, de la peur au dégoût. Mais toujours avec une profonde colère. Pire, de la haine. Vous pensez bien qu'en plus de trois ans j'ai eu le temps de parfaire, de mûrir mon discours. Pourtant, lorsqu'il a fallu s’asseoir et coucher tout ça sur papier, j'ai été atteint du syndrome de la page blanche. J'ai pris conscience que ce qui allait se passer ici aujourd'hui allait avoir un impact direct sur la façon dont j'allais faire mon deuil. Sur la façon dont j'allais éduquer mon fils. Sur la façon dont j’allais mener le reste de ma vie.
Ne sachant par où commencer, j'ai cherché la définition de la justice. Pas de chance, il y en a plusieurs. Dès lors, chacun peut interpréter ce qu'est la justice à ses yeux. Je note que la justice est souvent associée à la liberté, à la légalité, à l'égalité, la légitimité, l'éthique, l'équité, la paix... A mes yeux aucun de ces idéaux n'est représenté par la justice.
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La liberté : Nous sommes privés d'Anthony. Privés du droit que nous avions de vivre heureux.
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L'égalité : En voyant comment sont traités les tueurs, et les victimes, il est évident que nous ne sommes pas égaux... L'un est libre après avoir donné la mort, les autres sont condamnés à la tristesse, coupables d'avoir aimé un ami, un fils, un frère.
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La légitimité : C'est la justice dans son sens moral. Un récidiviste à qui on a laissé l'opportunité de tuer... Quelle morale retenir ?
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La paix : Par son inaction, c'est une guerre que la Justice est en train de déclencher.
On entend souvent parler d'un concept qui se veut bienveillant. On dit que la justice doit être humaine. Quand on voit de quelles horreurs, et de quelles bêtises les humains sont capables, on est en droit de douter du bien-fondé de la chose. Ou alors on peut se dire qu'effectivement, la justice est bien le reflet de l'humanité... Incapable d'apprendre de ses erreurs passées, nous menant indéniablement vers la détresse.
Évidemment, ma douleur m'enlève toute objectivité. Malheureusement, la justesse de la justice est également très subjective. Là où pour la Justice, 10 ans est une peine maximale, pour nous ça ne représente même pas le minimum syndical. Toute peine donnée en dessous des dix ans sera considérée comme une injustice, une provocation, un affront. Une incitation à faire justice soi-même. Une courte peine serait une insulte à la dignité des victimes. Ce serait accorder peu de valeur à ce qu'est la vie. Vous assumerez alors pleinement le fait que la vie des autres n'est rien d'autre à vos yeux qu'un simple numéro de dossier. Mais à quoi bon donner plus, puisque de toute façon, ce qui aurait pu être évité ne l'a pas été et que rien ne nous ramènera Anthony.
La justice est rendue en fonction des textes. Absolument pas en fonction des préjudices perçus par les victimes. Il faut arrêter de vivre dans un monde de papier. Revenir dans le monde réel. Ce monde dans lequel Anthony est mort. Vivez dans ce monde dans lequel l'incompétence de la justice, son laxisme et la « justice humaine » ont leur part de responsabilité dans la mort de mon meilleur ami. Vivez dans ce monde dans lequel demain, vos enfant mourront, le crâne éclaté contre le par-choc d'un homme multi-récidiviste en excès de vitesse et sous stupéfiants. Cet homme, que la justice aura jugé bon de laisser en liberté... Dans votre monde, il y a de la paperasse et des textes de loi. Il y a des avocats qui défendent un individu alors même qu'ils savent que ce dernier est coupable. Dans mon monde il y a des parents qui ont perdu leur fils, il y a des sœurs qui ont perdu un frère, il y a des gamins qui ne connaîtront leur Tonton que par les souvenirs qu'on leur transmettra.
Redonnez moi confiance en la Justice, faites votre travail. Prouvez moi que nous vivons dans le même monde...