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Bastien raconte à Anthony un rêve qu'il a réalisé, en grande partie grâce à lui.

Conseil : En lisant le texte, écoutez cette musique qui a accompagné son auteur lorsqu'il l'a écrit...

Life Finds A Way - Robin Gogberg

Salut vieux. Je ne sais pas si tu te souviens, mais la dernière fois que je t'ai écris, c'était pour te parler de mes rêves. De ceux qu'on fait la nuit, ceux qui sont trop bizarres pour être réalisables... Bah aujourd'hui, je vais te parler d'un de ceux que j'ai pu réaliser. En grande partie grâce à toi.

Terry Prachett, un auteur que j'affectionne tout particulièrement, a écrit : " Un individu n'est jamais définitivement mort tant que les ondes de ses actes n'ont pas disparu de la surface du monde ".

Ça me fait penser à un galet que l'on jette dans un lac. Alors que ce dernier disparaît dans les profondeurs, des ondes se déplacent sur la surface trahissant sa présence et son passage. J'aime croire que je surfe sur le raz-de-marée que tu as créé en disparaissant de la surface de nos vies. C'est cette vague qui m'a poussé à aller au bout de ce premier DAN.

« Noir c'est noir, le début d'une nouvelle histoire.. »

Noir, comme les plumes d'un corbeau qui survolerait ta tombe en silence lors d'une nuit profonde. Une nuit sans lune et sans étoile. Noir, comme l'encre qui s'apprête à noircir ces pages. Noir, comme l'humour qui nous caractérisait tant. Noir, comme le néant à travers lequel tu vogues. Capitaine de ton âme, tu navigues sur les flots de nos larmes. Mais à mes yeux rien, non rien ne sera jamais aussi noir que ce bout de tissu qui ceint mon bassin. Après des années d'arrêt, me voilà devenu un judoka qui arbore fièrement une ceinture... Noire. Ça t'en bouche un coin pas vrai ? Allez Capitaine, plie les voiles de ton bateau, sers toi un rhum, et laisse les flots te guider jusqu'à moi que j'te raconte cette histoire.

J'ai crié sur tous les toits que je voulais terminer cette ceinture noire pour toi. Au début j'ai vraiment cru que c'était un acte altruiste. Totalement désintéressé, absolument dévoué. Avec du recul, je pense que c'est faux. Toi, tu n'as besoin de rien. Tu n'as pas besoin qu'on te rende hommage, tu n'as pas besoin qu'on pense à toi... Nous en revanche, on a besoin de tout ça. Parce que c'est grâce à tout ça, que malgré ton absence, tu fais toujours partie de nos vies. De toi il ne nous reste que des souvenirs. Mais ça nous condamne à vivre dans le passé. Sauf que t'es bien placé pour savoir qu'on a qu'une vie, et qu'elle est bien trop courte pour rester bloqué dans ce qui a été vécu et rater ce qu'il nous reste à vivre. Alors le meilleur moyen de profiter de ce qui nous reste de toi sans rester bloqué en 2022 c'est de te rendre hommage. Je pensais te rendre hommage pour que tu sois fier de moi, mais j'avais surtout besoin d'être fier de moi en te rendant hommage. Personne ne m'a forcé la main (mais tout le monde m'a soutenu). Si je suis allé au bout, c'est uniquement pour moi. C'est moi qui ai ressenti ce besoin de terminer ce truc que j'avais commencé avec toi. Et comme c'est à moi que ça fait du bien, c'est complètement égoïste... Alors très égoïstement, je me suis sorti les doigts, et je suis remonté sur les tatamis.

La première fois que je remets mon kimono, c'est lors de la première édition du trophée Anthony. Oui, parce que dans ce besoin de te rendre hommage, le club a créé un événement qui porte ton nom. On remet un trophée à un judoka qui porte les valeurs du judo. Bref, quand je remonte sur le tapis je retrouve quelques sensations, et ça me fait un bien fou. À la fin de cette journée riche en émotions, j'ai du mal à me dire que je vais ranger mon kimono et ne plus y retoucher jusqu'au prochain trophée. Il n'en faut pas plus pour prendre la décision de reprendre le judo.

À la rentrée 2023, cela fait 11 ans que j'ai arrêté le judo, et le sport en général. Et dans ma tête, je ne fais que reprendre là où je me suis arrêté. Ceinture marron et seulement 13 points manquants pour aller chercher la noire. Bref une formalité... Après vérification dans mon passeport ce n'est pas 13 mais 23 points qu'il me manque. C'est pas grave ça n'est qu'un combat de plus... J'apprends ensuite qu'il faut passer une nouvelle épreuve. L'UV2. Finalement ça se complique.

1er cours de l'année, et je reprends pas du tout là où je me suis arrêté... J'arrive pas à faire un entraînement complet. Au bout de 20 minutes, mon corps me crie de m'arrêter. Mon estomac me prévient qu'il veut foutre le camps en passant par l’œsophage, mon cœur tape dans ma tête comme un pompier qui ouvrirait une porte à grand coup de hache, et mes poumons aimeraient me crier d'arrêter, mais ils n'ont pas assez d'air pour prendre la parole. Je ne sais pas quelle est la plus grosse erreur. Avoir arrêté le sport ou avoir repris ?

Après quelques mois d'entraînement, je fais ma première compétition. J'ai refusé d'en faire plusieurs avant. Je disais ne pas être prêt. La vérité c'est qu'en plus de ne pas être prêt, j'avais peur... J'avais peur de perdre. Peur de ne pas être à la hauteur de l'objectif que je m'étais fixé. De ne pas être à la hauteur de mes propres ambitions. (Si en lisant cette phrase, il y en a un qui pense à un jeu de mots en relation avec ma taille et la hauteur de mes ambitions, j'le dégomme ☺). Je ne suis pas vraiment sûr d'être prêt pour cette compétition, mais il va bien falloir que je m'y mette un jour. Une fois sur place, l'attente est longue. Je ne sais pas si je suis pressé d'être sur le tapis, ou pressé que ça se termine. Je suis enfin appelé, le combat commence et dix secondes plus tard : Ippon. J'ai perdu. Je ne suis pas vraiment étonné, même pas déçu. J'ai repris la compétition là où je l'avais laissée. En perdant. C'était presque rassurant, voilà au moins un truc qui n'a pas changé. La défaite. Je fais ensuite d'autres compétitions pendant lesquelles j'arrive à mettre 20 points. Plus que 3 et c'est bon. L'année se termine là dessus et je me fais la promesse que c'est la dernière année que je termine en étant ceinture marron.

Rentrée 2024. On se remet au boulot. Cette année, c'est la bonne. Première compétition à Dax. Il me reste 3 point à mettre. Un combat et c'est fini. J'ai toujours peur de perdre, sauf que cette fois-ci, j'ai aussi peur de gagner. En fait je crois que j'ai autant peur de gagner que ça me saoule de perdre. Quand j'aurai gagné, j'aurais terminé un truc que j'avais commencé avec toi, et je suis pas sûr d'en avoir envie...

Premier combat, et après 30 secondes, Ippon. J'ai gagné... Attends, quoi ? PUTAIN ! J'AI GAGNÉ !?! La pression que je m'étais mis tout seul redescend d'un coup. Je fais un effort insurmontable pour ne pas m'effondrer sur le tatami. Je retiens mes larmes le temps du salut, et une fois sur le bord du tapis, je ne tiens plus... L'émotion est trop grande, et j'envoie mon égo se faire foutre. Je fond en larmes comme ça ne m'était plus arrivé depuis ta mort. J'entends Eric qui me dit qu'il faut que je reste concentré, que la compétition n'est pas finie, qu'il me reste encore des combats. À ce moment précis, le reste de la compétition m'importe peu. Je repartirais quoi qu'il arrive avec ce que j'étais venu chercher. 3 petits points qui à mes yeux sont plus importants que les 97 autres. Libéré de ce poids je m'éclate sur les combats qui suivent. Je crois que c'est la première fois je m'amuse vraiment dans une compétition, et j'ai envie d'en faire d'autre... Évidement je ne suis pas le meilleur. Mais peu importe, je suis meilleur qu'hier, et c'est déjà beaucoup.

Dernière étape, l'UV2. On m'a dit que ce serait une formalité. J'y croyais pas vraiment, alors je me suis mis la pression. Finalement c'était pas si compliqué. Je pense que le choix de la partenaire joue beaucoup. C'est Jennifer qui m'a aidé à bosser. Une boule d'énergie couplée d'une machine à gagner. Avec elle, je ne pouvais pas faire autrement que de réussir.

Voilà mon pote, ça y est. Je suis enfin 1er DAN. Mais comme les choses ne sont jamais simples, ce sentiment de fierté a un goût un peu amer. J'ai peur qu'après ça, les ondes de tes actes disparaissent. Finalement c'est uniquement parce que j'avais commencé cette ceinture noire avec toi que je suis allé au bout. D'ailleurs j'ai fait broder "50%" dessus. Je me dit que si on a chacun 50% on continue de partager des choses ensemble. C'est une façon de continuer de te faire vivre un petit peu... Mais maintenant que c'est fini, j'ai l'impression que le vide que tu as laissé s'est agrandi. Et je ne sais pas comment le combler. Je pense, non j'espère, non je ressens qu'il reste encore beaucoup d'énergie à cette vague. En reste-il assez pour me pousser vers un 2éme DAN ?

Qui vivra verra. Et tu n'en rateras pas une miette, car tu continues de vivre dans nos cœurs.