Ce texte a été écrit par Bastien à la veille du 16 mai 2023 qui aurait dû être le 32ème anniversaire d'Anthony.
Conseil : Écoutez cette musique en lisant le texte
Two Steps From Hell - Star Sky -
« Là où le corps ne peut aller, l'esprit se le permet. »
Il est tard et j'avais envie d'écrire. Franchement je sais pas trop ce que je vais te raconter, mais j'ai l'impression que j'ai une montagne de trucs à te dire. Des trucs qui sont pas importants. Des questionnements, des sensations. Bref, que des problèmes de vivants...
Il y a un truc que j'ai du mal à m'expliquer. J'arrive pas à pleurer. Pas franchement j'veux dire. Il y a bien cette gorge serrée, comme si quelqu'un avait fait un nœud. Il y a aussi quelques larmichettes de temps en temps. Mais j'arrive pas à pleurer à chaudes larmes. J'en ai envie pourtant. Souvent d'ailleurs, mais impossible de me lâcher comme je le voudrais. Comme si je faisais preuve de pudeur envers moi-même. C'est con parce que je suis sûr que ça me soulagerait d'un poids invisible qui m’alourdit les idées, et qui m'empêche de réfléchir correctement. Pourtant, et c'est contradictoire, j'ai l'impression que mon cœur est devenu une éponge. Une chanson, une belle phrase, un sourire de Sacha. Je m'émeus d'un rien. L'autre jour on était dehors, il faisait nuit, et Sacha a montré une étoile. Il a dit que c'était toi et que tu nous protégeais. J'ai pas compris ce qui m'est arrivé. Une explosion d'émotions. Partagé entre la profonde tristesse qu'il ne puisse jamais te connaître tel que je te connais, et l'immense fierté que mon fils qui n'avait que 4 ans quand tu es parti se souvienne de toi.
Je sais pas si c'est ta disparition qui me fait cet effet là ou si c'est simplement parce que je vieillis, mais, j'ai la sensation que mon cerveau turbine à fond sur des sujets qui ne m'intéressaient pas du tout il y encore un ou deux ans. Par exemple, j'ai beau être terre à terre, je me plais à essayer de croire que tu existes encore quelque part... Évidement, il n'est pas question ici de parler d'une quelconque divinité qu'il faudrait vénérer pour aller au paradis ou en enfer. Mais le propre de l'imagination, c'est bien de pouvoir s'évader par l'esprit, là où le corps ne peut aller non ? Alors oui, l'imagination c'est un truc de vivants... Mais si on est capable de dissocier notre corps et notre esprit, en étant vivant, qu'est-ce qui nous empêcherait de le faire une fois mort. Ouais, je sais, c'est capillotracté comme dirait l'autre. Mais tu sais on se raccroche, à ce qu'on peut. Il y a encore peu de temps, je trouvais stupide de pouvoir croire en quoi que ce soit qui ne soit pas vérifiable (tout en respectant le droit qu'a chacun de croire en ce qu'il veut, bien entendu). Et puis maintenant je comprends que ça permet de se rassurer sur bien des choses. Notamment de pouvoir encaisser un deuil en amoindrissant les dégâts qui sont de toute façon substantiels... Je me persuade tout seul que je finirais bien par te revoir un jour, et même si c'est pas vérifiable du tout, je commence à y croire. Du coup, je suis plus tout à fait sûr d'être un athée pure souche, mais pourquoi pas, disons... un agnostique hésitant.
On m'a enlevé l'avenir que je m'étais imaginé. Cet avenir où tu vieillis au même rythme que nos enfants grandissent. Cet avenir, où nos enfants deviennent amis. Cet avenir où les barbecues du dimanche midi pendant lesquels on ressasse les mêmes souvenirs de jeunesse à longueur de temps sont devenus une tradition au même titre que les restos du lundi soir en étaient une. Cet avenir dans lequel, une fois vieux, posés à l'ombre d'une terrasse avec une bière à la main, on regarde nos gosses avec fierté et on se dit que finalement, on a pas tant raté nos vies.
Et c'est parce qu’au fond de moi j'ai cette petite lueur d'espoir de te revoir, parce que je veux croire qu'un jour on pourra se refaire des bonnes vannes de culs bien lourdes, qu'on matera les filles en jupes un jour d'été, qu'on fera du parquet chez Mc Fly ou des étagères chez moi. Parce que j'ai espoir de pouvoir te montrer les photos de mon fils qui grandit. Uniquement parce que j'ai cette petite lueur d'espoir, j'arrive tous les jours à trouver que la vie est belle. J'te jure, depuis ta mort je relativise tout. Dans l'horreur du monde qui nous entoure je sais que le bonheur n'est jamais loin. Il suffit juste de ne pas le chercher pour le trouver.
Alors dans la folie ambiante, je pose mon cerveau, j'me mets sur pause, et le temps d'une seconde je profite d'un moment suspendu dans le cours du temps. Un point infime entre le passé et l'avenir. Une seconde durant laquelle j'ai l'impression que la plénitude que je ressens peut durer indéfiniment... Ça ne dure jamais longtemps. À peine le temps d'une inspiration. Mais dans ces moments là je me sens en parfaite communion avec le monde qui m'entoure. Un monde dont tu fais toujours parti...
Pas très terre à terre tout ça...
En ce mois de Mai tu aurais eu 32 ans. Aujourd'hui, tu me manques plus qu'hier. Probablement moins que demain. Les saisons vont continuer de défiler inexorablement. L'histoire va continuer de s'écrire inéluctablement. Et nous, fatalement, on va bien être obligé de faire avec. Ou plutôt de faire sans toi. Alors je vais essayer de faire grandir cette conviction naissante, cette lueur d'espoir qui me permet de tenir dans les coups durs. Je vais continuer de me répéter cette phrase :
« Là où le corps ne peut aller, l'esprit se le permet. »
Bon anniversaire Mec.